Conférence-débat par Éléonore DUPRET, ancienne élève de l’ENS Ulm, professeur de philosophie en lycée, chargée de cours à l’université, spécialiste de l’interprétation métaphysique de l’harmonie musicale et conférencière
Les Pouvoirs de la parole
Résumé
« Dieu dit que la lumière soit! Et la lumière fut », G. 1.3
« Les mots ont le pouvoir de guérir ou de détruire, quand ils sont justes et généreux ils peuvent changer le monde ». Siddharta.
Du pouvoir créateur du verbe à la force de l’acte de la parole en politique comme dans toute quête de justice, les mots sont la racine invisible des choses, des êtres, des actes et des constitutions. S’ils nous permettent de décrire le monde et de le maitriser, ils peuvent aussi révéler la dimension de soi et se teinter d’un pouvoir psychologique, esthétique et cathartique.
La Capsule sur les pouvoirs de la parole fera écho aux deux pièces de théâtre :
37h, par la COMPAGNIE IN LUMEA, et Bleuenn & Rozæ / Patchwork par la COMPAGNIE SERRES CHAUDES
L’une voit le processus de guérison qui s’opère par l’acte de transformer les maux en mots, il envisage le langage dans sa dimension cathartique et dans sa quête de justice.- Comment la parole peut-elle guérir ?-
L’autre parle du pouvoir de la parole, par le rapprochement inattendu des mots « textes » et « textile », comme si les mots étaient une seconde peau qui exprimait notre position dans le monde social. La qualification, la manière dont on nous qualifie, constituerait le textile de notre existence sociale, et par conséquent le textile de notre existence psychologique et familiale qu’il détermine.
Les deux pièces, en partant d’un point de vue particulier, d’une vie, s’ouvrent à la dimension collective autrement dit à la politique.
Or tout cela est joué au théâtre. Comme si le pouvoir des mots ne trouvait sa véritable force qu’au théâtre ou du moins comme si l’origine de ce pouvoir de la parole ne pouvait que s’expérimenter, s’appréhender, n’être donné à voir qu’au théâtre.
C’est au théâtre que tous les mots sont écoutés, déshabillés de leur inégalité sociale, pour être vus, chacun des personnages ayant le même accès à la parole, à la même qualité d’écoute qu’il soit roi, femme ou mendiant, qu’il crie ou qu’il murmure.C’est pourquoi nous avons choisi de nous intéresser d’abord au pouvoir poétique de la parole au théâtre. Par « poétique », il faut entendre le sens original du grec « poien », façonner, transformer. Mais quelle est la portée de ce pouvoir poétique sur nous même, sur la justice et sur la manière de vivre ensemble qu’est la politique ?
Comment la parole au théâtre parvient-elle à être poétique, c’est-à-dire à nous transformer et à transformer le monde.
Nous développerons notre propos en trois temps :
1.La parole poétique, « changer la vie » dans laquelle nous voyons que la parole au théâtre amplifie, transforme et nous transforme, nous guérit -dimension cathartique- en portant la question individuelle dans la sphère collective où elle pose la question de la justice.
2. Ce qui nous conduit à une deuxième dimension de la parole, celle qui en quête de justice, « obtenir justice, édifier les lois ».
3 Enfin nous aborderons la dimension de la parole publique- donc politique !- dans laquelle nous verrons avec P. Bourdieu « ce que parler veut dire », sa dimension sociologique et économique, et avec J. Austin, si dire, c’est agir, ce qui constitue la dimension performative du langage, lorsque le langage « produit des actes » .